Parole de voyageurs

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Il y a cette magie des noms de lieux qui agit comme l »éther sur la cervelle des gosses (j’en étais) vautrés sur les atlas de longs dimanches de pluie.
On lit : Tucuman, Surabaya, Flores. On se dit «un jour j’irai là-bas ». On dessine avec l’ongle du pouce le cours du Yukon sur le beurre de sa tartine. On rêvasse.

Souvent cette toponymie prestigieuse est mensongère et vous conduit dans de ces culs du monde qui n’offrent que tôle ondulée, chiens efflanqués, putes édentées et
modiques arnaques à la mesure du lieu. Il suffit alors d’avaler plusieurs fois sa salive, sa déception… et de poursuivre, parce que souvent aussi, à moins d’une heure de carriole ou à bon pas, une bourgade qui a négligé de mettre son nom sur la carte ou alors un nom que l’œil saute – vous attendait, vous, précisément vous : Belle au bois dormant, et c’est ce paradis, fardé de fine poussière et de fraîcheur. Et c’est une mosquée vert pistache plus légère que son ombre, des gamins tondus, stridents qui fouettent leur toupie, des perdrix dans des cages d’osier frais coupé, une petite place, le tremblement éperdu des peupliers blancs d’Asie, et personne, bien sûr, ne vous aura dit «tout est là ».

En route, le mieux c’est de se perdre. Lorsqu’on s’égare, les projets font place aux surprises et c’est alors, mais alors seulement que le voyage commence.


Nicolas Bouvier

 

Quelques extraits du livre